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Carnet de critiques et billets divers d'une cinéphile active mais peu réactive... Ecriture intermittente garantie.

INSIDE LLEWYN DAVIS

 

 

Ombre et lumière

 

Je ne cacherai pas que je ne suis pas une grande admiratrice du cinéma des frères Coen. Mais, je dois aussitôt dire que Barton Fink fait partie des quelques chefs d’œuvre que je chéris pour me ramener à chaque fois à l’émotion de sa première vision. Je ne sais si Inside Llewyn Davis laissera en moi la même trace dans vingt ans, mais la mélancolie d’Ethan et Joel Coen a de nouveau frappé.

INSIDE LLEWYN DAVIS

L’envoutement est assez immédiat -les deux frères savent toujours commencer leur histoire- grâce à la folk, à la photographie de Bruno Delbonnel et à la voix de Oscar Isaac. Le(s) talent(s) envahissent la salle de cinéma comme le petit club de Greenwich village…pense-t-on. En effet, les spectateurs du club restent dans l’ombre, immobiles, peut-être absorbés, peut-être assoupis. Après un détour par l’arrière-cour du club où l’obscurité se fait plus clairement hostile, le réveil dans un appartement new-yorkais rassure, d’autant qu’il est provoqué par un chat gracieux qu’on suit dans un couloir chaleureux, éclairé de doux rayons de soleil. Mais nous ne sommes pas dans l’intérieur de Llewyn. Le passage de l’ombre à la lumière n’est donc qu’une illusion, un leurre. Il ne se produira pas.

 

Errance et épuisement

 

De New-York à Chicago, de Chicago à New-York, l’odyssée de Llewyn Davis ne progresse que vers l’ombre (le retour au volant dans la nuit). Les réveils sur un canapé toujours différents sont toujours plus pénibles et soulignés par une lumière plus froide, plus crue. La lumière du jour devient lumière d’hiver. Le froid s’installe, le corps s’engourdit et rien ne vient réchauffer Llewyn Davis[1]. Cette errance, d’abord limitée au Village, puis traversant quelques états,[2] ne débouche que sur l’échec. Elle dessine sublimement l’épuisement d’un ancien chien fou qui ne peut plus courir qu’après un chat roux, car la récompense sucrée qu’est le succès ne viendra pas. Au retour à New York, les trajets se font plus courts et ne se concentrent d’ailleurs pas dans le Village (chez la sœur, à l’hospice du père, dans les bureaux de la marine marchande) manifestant avec subtilité l’essoufflement du personnage.

INSIDE LLEWYN DAVIS

Le jeu d’Oscar Isaac est à ce moment remarquable. Son regard, sa démarche font de Llewyn Davis l’incarnation de la fatigue : celui qui a tenté, qui a couru et qui a souvent fait les mauvais choix (il en reste quelques uns dans le film, souvent moteurs de l’humour du film). Mais Llewyn Davis est aussi celui qui refuse jusqu’au bout de se réchauffer à la flamme d’un succès fondé sur le renoncement ou le compromis, ce qui le différencie des autres artistes du film. En cela, il n’est pas le loser ou le lâche que certains y voient. Il est un personnage entre ombre et lumière, qui tente de maintenir sa ligne droite et orgueilleuse (les nombreux plans de marche dans la ville) alors que tout pousse à changer de route (la possibilité de rejoindre la ville de son enfant).

 

Pendant l’hiver

 

Les enfants du Minnesota connaissent la neige et en utilisent les vertus esthétiques et dramatiques au cinéma depuis longtemps. Dans Inside Llewyn Davis, la dominante urbaine du film ne laisse pas de place aux grands espaces blancs. La neige tombe et blanchit légèrement les épaules de Llewyn, évoquant la fatalité qui s’abat sur le garçon fatigué. Cette neige qui tombe et qui fond sur les trottoirs du New York du début des années 60, ne parvient donc pas à recouvrir la douleur de la perte du partenaire, la mort prochaine du père et les amours manquées. Toujours, plus présente, elle pèse de plus en plus (comme le lourd carton de disques invendus) sur un personnage arrivé au bout… de rien.

INSIDE LLEWYN DAVIS

Restent alors l’amertume, l’alcool et, peut-être encore, la musique. Dans le dernier tour de chant, qui s’achève par la montée sur scène du jeune Dylan, l’échec n’est peut-être pas total, car la chanson émeut le spectateur aux larmes (ce qui achève de prouver le talent du personnage) et parce que cette chanson[3] est celle du duo (le parcours achève peut-être un travail de deuil). Cependant, le retour au club est un retour au point de départ et le coup répété dans l’arrière-cour semble plus dur qu’au début du film. Dans cette structure ramassée, les Coen excellent dans la nuance sur l’échec et la fatalité[4]. C’est cette nuance qui nous permet d’atteindre l’intérieur de Llewyn Davis.

NB: Le terme "Odyssée" est ici utilisé en référence à Ulysse, le chat des amis de Llewyn Davis. Mais à y regarder de plus près, le personnage ne connaît pas de grande aventure. D'ailleurs ce n'est pas Ulysse qui l'accompagne mais un chat errant. Ulysse, lui, est rentré à la maison...

 

[1] Le jeu des manteaux avec l’agent ou Jean, le chat sous le bras…mais aussi la famille.

[2] Une quête de l’espace, vers un nouvel horizon plus à l’Est, qui se solde par un échec. D’ailleurs, on ne voit que peu de choses de Chicago.

[3] Fare thee well : chanson qui raconte l'histoire d'une femme abandonnée par son mari quand elle a le plus besoin de lui.

[4] On regrette cependant la séquence du voyage vers Chicago avec John Goodman, digression vers l’absurde dont le film et le personnage n’avaient pas besoin.

 

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L
Les chants desespérés sont les chants les plus beaux .
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C
Merci pour vos commentaires et vos encouragements.
D
Tout à fait d'accord avec cette analyse. Ce qui est beau dans le film, c'est que la noirceur de cet univers, le Destin qui se charge d'accabler Llewyn ne sont pas filmés avec cynisme. Les Coen manifestent une belle empathie pour leur personnage et c'est sans doute ce qui est le plus touchant...
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