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Carnet de critiques et billets divers d'une cinéphile active mais peu réactive... Ecriture intermittente garantie.

MES SEANCES DE LUTTE

Jeu de mains

La lutte a commencé avant le film, quand il a fallu trouver quelque liberté pour assister à une des rares séances du film de Jacques Doillon, sorti dans une injuste discrétion. On peut en effet légitimement s’étonner qu’un film d’un cinéaste si reconnu et adulé dans les années 90, trouve aujourd’hui si peu d’écho. L’objet, certes rude, n’est pas insaisissable à condition de dépasser la première impression de trop-plein verbal de la première partie, et de laisser le film nous livrer finalement ce qu’il annonce clairement par son titre et son affiche. Mes séances de lutte est en effet un film qui chemine de la joute verbale ou combat à mains nues par des bulles temporelles ramassées, délimitées et parfois planifiées que sont les « séances ».

MES SEANCES DE LUTTE

ELLE retrouve LUI pour affronter le père, s’en détacher puis pour défier l’amant, le provoquer et se l’attacher. A l’issue de ce processus rigoureux, qui va de la libération de la figure écrasante du père à la dépendance à la celle de l’amant pour ELLE, et de l’impuissance du premier soir à la surpuissance violente pour LUI, on n’est pas certain que ces deux corps aient atteint l’équilibre. Mais, on aura assisté à un jeu de variations d’une grande subtilité dans les cadrages, d’une grande justesse dans la mise en scène.

Du terrain de jeux aux trois coups

Tourné dans une grande économie de moyens (dont témoigne le très court générique de fin), Mes séances de lutte est une expérience de travail de l’intime. L’action se joue dans la propre maison du réalisateur. Mais alors qu’on peut craindre au début un récit d’intérieur étouffant, le film joue sur des variations de champs de bataille qui placent d’abord longtemps l’affrontement sur le terrain du jeu. Du placard où l'on se cache enfant, à la salle de billard dans les combles, en passant par le jardin avec filet de volley, le sable, la boue et la balancelle où l’on se défie, tout dénote une bagarre enfantine. Le verbe, très présent au début, participe de la même jouissance de la pique, de l’insulte et de la provocation. C’est « un jeu à la con » (paroles d’ELLE), ou du moins c’est ce que pensent alors les personnages; un jeu auquel les deux acteurs se livrent totalement.

 

MES SEANCES DE LUTTE

Le spectateur assiste à ce jeu et peut sourire de voir James Thierrée déplacer les meubles du salon et rouler Sara Forestier dans un tapis, mais ce qu’il ressent est tout autre. En effet, les scènes d’affrontement physique ne sont jamais des chorégraphies de danse contemporaine et leur dimension érotique est toujours savamment maîtrisée. On ne voit que bras enserrant un cou, jambes compressant un ventre, tête frappant un torse. La nudité (progressive) des personnages ajoute encore à la puissance de ces scènes ; on a rarement ressenti avec plus d’exactitude le poids d’un corps qui tombe, la force d’un corps qui retient et la couleur d’un corps qui souffre.

 

MES SEANCES DE LUTTE

Le spectateur, qui ne participe pas à la lutte, mais qui est placé dans une position inédite d’observateur intime perçoit alors, avant les personnages, l’ambiguïté et les risques de ce jeu. C’est ainsi que les scènes de dialogue d’ELLE avec son amie par ordinateur interposé, étonnent et dérangent car, face à l’écran, ELLE livre à son amie un récit bien édulcoré de ses « séances ». A la fin du parcours, lorsque les corps se sont enfin rencontrés, ELLE et LUI reviennent dans la chambre. C’est à ce moment que les risques du jeu, dont le spectateur avait déjà ressenti les tremblements, se révèlent dans quelques mots mais aussi dans le geste le plus violent du film. Trois coups secs, froids qui atteignent physiquement le spectateur, qui le plongent ainsi dans la lutte avant que trois mots prononcés ne le soignent un peu. A ce moment, Jacques Doillon atteint le point culminant du film mêlant - comme les corps de ses acteurs prodigieux - les mots, le geste, l’émotion et la force.

 

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F
Merci pour l’article interessant.
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