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Carnet de critiques et billets divers d'une cinéphile active mais peu réactive... Ecriture intermittente garantie.

THE GRAND BUDAPEST HOTEL

J’ai vu The Grand Budapest Hôtel, il y a maintenant deux semaines. Je ne pensais pas écrire dessus, et puis, bien que certaines images de ce film enlevé, rapide comme un slalom géant, se soient évaporées, il en reste quelques notes de fond tenaces. Ces notes, ce sont des mots précieusement répétés par Monsieur Gustave H. durant toute son aventure, "Air de panache". Ils désignent une fragrance, mais évoquent surtout le goût de l’accessoire décoratif du concierge[1] ainsi que sa fière allure. "Air de panache" aurait même pu être le titre du film, tant The Grand Budapest Hotel possède le raffinement et la complexité d’un parfum de luxe au « charme profond, magique, dont nous grise dans le présent le passé restauré[2] ».

 

La précision des décors, l'obsession des compositions équilibrées et le goût de la référence et de la figuration "haut de gamme" de Wes Anderson n’avaient jamais réussi à m’emporter jusqu’alors. Les travellings latéraux, les chansons françaises et les personnages pris au piège dans des cadres comme des petites boîtes avaient même souvent eu pour effet de me mettre à distance, notamment dans Moonrise Kingdom. Sur l’affiche de The Grand Budapest Hotel, ce palace au rose dégradé dans un paysage de montagne m’effrayait quelque peu. Il me rappelait les paysages traversés par des trains miniatures. J’en appréhendais déjà les jeux d’échelles savants et la reconstitution minutieuse d’un monde idéal dans lequel je ne trouve jamais de place.

 

THE GRAND BUDAPEST HOTEL

Tout ce que je redoutais est présent dans le film et pourtant, tout a fait voler en éclats mes appréhensions. Le film joue encore des clins d’œil, des références et des hommages (Zweig, Mann, Polanski, Lubitsch, Hitchcock…). Les compositions de plan restent méticuleuses, les travellings latéraux sont omniprésents et la « French touch » d’Anderson s’exprime encore à travers les mots ou les apparitions (Mathieu Amalric, Léa Seydoux). Cependant, en intégrant l’histoire rocambolesque de ce concierge et de son lobby boy à la grande Histoire de l’Europe centrale, il donne une justification plus forte à ses motifs récurrents. Le souci du détail dans la représentation du monde idéal de ce palace dans les années 30 définit le personnage de Monsieur Gustave H.[3] (Ralph Fiennes, éblouissant). Et, si nous quittons finalement assez rapidement l’intérieur cossu et hors du temps de l’hôtel, c’est pour accompagner la course folle de cet homme qui, en voulant prouver son innocence, cherche à sauver son monde qui s’écroule inéluctablement dans une brutalité qu’il se refuse à voir, à intégrer au paysage. Ainsi, les deux séquences de train qui encadrent le récit de l’histoire de Gustave montrent magistralement l’irruption de la barbarie. Les tanks apparaissent le long de la voie ferrée, la milice investit le wagon et, par deux fois, Gustave pense échapper à la violence du contrôle d’identité (qui inquiète surtout Zéro), en vain. La deuxième fois, le "billet de tranquillité" d’Henckels n’est déjà plus valable, le temps de l’élégance de Monsieur Gustave est définitivement passé.

THE GRAND BUDAPEST HOTEL

rCe nouveau monde s’invite en fait dans le palace de Monsieur Gustave bien avant l’irruption des miliciens du ZZ. Il s’infiltre dès le début du film avec Zéro, personnage sans famille, réfugié et victime d’un mystérieux « soulèvement du désert ». La beauté de la relation Gustave-Zéro tient dans cette touchante et désespérée tentative de transmettre au lobby boy les valeurs de ce temps qui s’enfuit. Le lobby boy écoute, obéit, suit le concierge dans ses aventures tout en étant un témoin et acteur de la disparition de son monde. Cela apparaît nettement dans la séquence de la prison. A l’heure où les miliciens fascistes de ZZ viennent noircir les étendues de neige immaculée de Zubrowka, on contrôle les colis envoyés aux détenus à coup de grand couteau. On découpe, on tranche sans état d’âme tout ce qui passe, tout, sauf les fabuleuses pâtisseries aux couleurs pastels de Mendl’s. Les pâtisseries qui cachent les outils de l’évasion sont réalisées par Agatha et Zéro. Les deux jeunes gens, soumis à la dureté de ce monde nouveau[4], et dont l’histoire d’amour sans affect étonne (mais peut-il en être autrement dans ce contexte ?), recouvrent ainsi le vulgaire acier des quelques grammes de finesse illusoire nécessaires au sauvetage de l’homme au panache. Cependant, après une évasion spectaculaire et burlesque, Gustave ne trouve pas auprès de Zéro de quoi recouvrir sa triste condition de prisonnier de dignité aristocratique. La belle époque de l’apparence et de l’apparat disparaît alors dans le récit émouvant de l’histoire de Zéro. L’air du temps s’est durci, il a maintenant l’odeur du sang déversé par l’inquiétant Jopling (Willem Defoe).

THE GRAND BUDAPEST HOTEL

Mais si le parfum d’antan s’évanouit définitivement dans les nuages de poudre d’une fusillade qui annonce la guerre prochaine, son souvenir sera maintenu dans jusqu’aux années 80 grâce à la transmission du récit. La belle idée du réalisateur tient dans cet enchevêtrement des récits attachés à des époques différentes. Le livre de la jeune fille, le récit de l’écrivain et celui de Zéro Moustafa impriment au film des rythmes divers et produisent des effets d’accélération qui, couplés à des scènes d’action plus découpées, donnent une impression d’intense circulation. Les nombreux acteurs du film, collectionnés en vignettes sur une des affiches du film, renforcent par leur passage furtif cette impression plaisante de rapidité et de mouvement. On n’a finalement pas le temps de s’attarder sur les détails de chaque plan, mais on ressent le frisson d’une échappée en moto ou d’une descente à ski, d’autant plus fortement que ces mouvements sont condamnés à être brisés - à l’image du train dans la campagne enneigée - par le temps de la guerre et de la violence.

Dans cette confrontation à une réalité brutale et sanglante, la fantaisie de l’univers de Wes Anderson dégagée du monde de l’enfance, trouve une puissance comique nouvelle[5] et une émotion plus forte, teintée de gravité. Dans cet univers, j’ai finalement trouvé ma place.

 

 

[1] La remarque sur le choix du vernis à ongle de Madame D.

[2] Le Parfum, Charles Baudelaire.

[3] Tout comme l’intérieur des années 60 qui correspond parfaitement à la mélancolie de Zéro Moustafa.

[4] Elle est exploitée par son patron. Il est un réfugié dont la famille a été massacrée lors d’une guerre.

[5] Par exemple avec symbolisé par ce bouquet de fleurs offert dans un petit cercueil.

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P
Arriver à trouver des choses à dire sur un film de Wes Anderson, voilà qui est bien plus impressionnant que de faire atterrir une sonde spatiale sur une comète à plus de 500 millions de kilomètres de la Terre ! <br /> Bravo !<br /> ;-)
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C
Merci Peter. Je pense que je n'aurais pas réussi à en écrire autant sur Moonrise Kingdom que j'aime nettement moins.