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Carnet de critiques et billets divers d'une cinéphile active mais peu réactive... Ecriture intermittente garantie.

LA BIOGRAPHIE INVENTEE

La Biographie inventée

"Infra" : ci-dessous, ci-après, en deçà… Sens dessus dessous, La Biographie inventée de Nicolás Lasnibat se déploie comme une carte dont le centre, constamment tiraillé entre les deux pôles extrêmes de la fiction et du documentaire, se révèle hanté par un fantôme insaisissable. « Au mois de novembre 1999, le poète chilien Arturo Belano disparaît » sans laisser de traces. Aucun écrit, aucun rosebud à ressasser pour percer le mystère de la disparition du fondateur du mouvement poétique infraréaliste. Cependant, "infra" se présente ici à la fois comme un en deçà de la narration fictive et un renvoi vers un autre passage d’un texte. Plus loin ou après le réalisme, La Biographie inventée trace un chemin vers d’autres récits et une autre existence, celle du poète et romancier chilien Roberto Bolaño, disparu en 2003.

Belano/Bolaño

« Je crois que mon roman comporte autant de lectures qu’il contient de voix. Il peut se lire comme une agonie. Mais aussi comme un jeu. » Il faut aller chercher hors du territoire du film ces mots de Bolaño où se mêlent « fantasma » et « fantasia ». Fantasme, phantasme ou fantaisie. C’est d’abord une (en)quête de mots, une affaire de lettres : un « e » pour un « o » et l’auteur se transforme en personnage de roman ; une présence décalquée du réel sur papier transparent. Dès son ouverture mexicaine, La Biographie inventée choisit la figure transparente, le visage caché puis dessiné de mémoire, pour jouer l’imagination (tout) contre la réalité et ainsi réanimer l’écrivain disparu.

LA BIOGRAPHIE INVENTEE

Un détective sauvage

Dans un hôtel modeste de la capitale, au fond d’un couloir sombre, un bloc lumineux indique une échappée vers un territoire infini de vérités et mensonges. Nous sommes alors embarqués par un détective sans visage dont la méthode sauvage et malicieuse (jeu de reconstitution, faux interrogatoires, artifice des rendez-vous) n’est pourtant jamais désinvolte. La profusion des dates, le foisonnement vertigineux de la toponymie et des identités ne l’émeuvent guère. Si sa parole déborde de précisions qui malmènent la vraisemblance du récit et en soulignent parfois le caractère absurde, elle révèle surtout la maîtrise de l’œuvre monstre de Roberto Bolaño, embrassée dans toute sa richesse, ses ramifications et sa composition rythmique. Si ses allers-retours entre le Mexique, le Chili et l’Europe peuvent désorienter, la répétition de certaines séquences (le jour des morts, l’hôtel de la rue Rio Panuco) matérialisent l’invention d’une existence par la géographie, et rapprochent ainsi réalité et fiction. Les déplacements du détective inscrivent les récits de plusieurs ouvrages (Les Détectives sauvages, Appels téléphoniques, Etoile distante…) dans les espaces réels d’une vie mobile et fragmentée ; assombrie par les violences de l’Histoire (massacre de Tlatelolco, coup d’état de Pinochet) mais surtout éclairée par les visages de ceux qui l’ont croisé. La carte d’un territoire littéraire d’une exceptionnelle densité se déplie alors devant nos yeux et se mue progressivement en territoire de cinéma. 

LA BIOGRAPHIE INVENTEE

Croire au fantôme

Des pages blanches d’une anthologie de l’infraréalisme au visage plongé dans l’ombre d’une photographie, la quête du disparu ne semble pas bien engagée. Dans les bureaux de la police judiciaire, le combat de l’imagination (ou du souvenir) et de la réalité autour de la réalisation d’un portrait-robot laisse Edna Lieberman insatisfaite. L’écrivaine n’y retrouve pas l’expression de celui qu’elle a connu. C’est une surimpression du dessin avec le plan en mouvement des lumières de la ville qui parvient à animer le regard d’Arturo. L’effet réconcilie l’imagination et la réalité, et affirme dès les premières minutes le pouvoir fantastique du cinéma. L’enquêteur-cinéaste manifeste sa croyance dans ce pouvoir à chaque instant. Quand le détective convoque les personnages, le cinéaste soigne leur entrée en scène et fait parfois rejouer les morceaux de bravoure (le duel) ou les drames (la détention). Quand le détective investit tous les lieux, le réalisateur cherche dans le mouvement d’un rideau, le reflet d’un écran de télévision et dans Mexico surpeuplé ou Paris désert, l’indice d’une présence spectrale. La mise en scène des récits portés par les nombreuses voix du film révèle souvent le vide laissé par les disparitions. Mais si la mort plane sur les anecdotes, la description nostalgique de l’effervescence artistique et culturelle des années 70 et les fragments de l’Histoire, la collection des paroles de chacun - entre souvenirs et fabulations - construisent la mémoire vivante d’un seul. Ainsi, dans les rapports établis par le montage entre paroles et images, l’imagination se blottit tout contre la réalité pour faire apparaître comme par magie, lettres et carnets. Au pays des ombres et des fantômes, certains mystères restent impénétrables, mais les miracles sont possibles. A la fin du voyage à la recherche d’un homme sans patrie, La Biographie inventée par Nicolás Lasnibat fait de l’écran de cinéma comme du livre, un lieu où les vrais poètes ne meurent jamais.

LA BIOGRAPHIE INVENTEE

LA BIOGRAPHIE INVENTEE (2018)

Un film réalisé par Nicolás Lasnibat

Directeur de la photographie: Gordon Spooner

Son: Alvaro Silva

Montage: Nicolas Desmaison

Musique: Rodolphe Burger

Je remercie chaleureusement le réalisateur de m'avoir permis de découvrir son film. La Biographie inventée est actuellement à la recherche d'un distributeur. 

 

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