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Carnet de critiques et billets divers d'une cinéphile active mais peu réactive... Ecriture intermittente garantie.

HER

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Dans un futur proche, cet article ne sera pas tapé sur le clavier d’un ordinateur mais dicté à un système d’exploitation qui en corrigera les nombreuses fautes, trouvera des formulations plus percutantes et proposera des références appropriées. Dans le monde de Spike Jonze, cette intelligence artificielle se nomme Samantha et elle est au service de Théodore, écrivain public d’un site spécialisé dans la rédaction de lettres manuscrites.

 

Je garde un souvenir ému de Max et les Maximonstres dont la beauté autant que la violence m’avaient tiré des larmes. Aujourd’hui c’est une émotion douce teintée d’étonnement qui me saisit avec Her. Dès le début, l’audace du film se signale par une représentation du futur atypique dans le genre de la science-fiction. Dans ce Los Angeles réinventé en y adjoignant des bouts de Shanghai, les couleurs et les matières ne sont pas celles qu’on donne souvent à voir dans les récits d’anticipation. Ici, ni acier ni teintes bleutées, mais des rouges et des orangés acidulés, du bois et du lin. Ce monde futur n’est pas le produit de créations numériques sophistiquées, il prend racine dans la réalité de notre temps[1]. Il est certes propre, lisse mais il en émane aussi une forme de sérénité et de chaleur inédite. De la même manière, Joaquin Phoenix est à la fois proche du rôle incarné dans Two lovers et différent avec ses lunettes et surtout sa moustache, motif viril à la fois discret et remarquable tout à fait inattendu, tant la science-fiction au cinéma manifeste souvent son choix d’un univers aseptisé par des visages imberbes. Par ailleurs, si l’anticipation passe comme il se doit par une technologie plus avancée, celle-ci ne met pas en place l’univers anxiogène habituel. Il y a certes de l’inquiétude, mais elle ne naît pas des outils. Ainsi, le jeu vidéo immersif, qui pourrait être le vecteur trop attendu d’un repli dans une virtualité plus aimable que la réalité, est surtout l’occasion de scènes comiques portées par un petit personnage grossier. Ce repli n’est pas obligatoire car la réalité est loin d’être insupportable, le monde extérieur n’est pas décrit comme hostile, aucune figure autoritaire ne le traverse (Théodore ne semble pas avoir de patron) et le plaisir y est possible.

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C’est un monde simplement plus avancé qui, de plus, n’a pas tourné le dos au passé mais en nourrit une certaine nostalgie (livres, lettres manuscrites, instruments de musique), comme on collectionne aujourd’hui les 33 tours réédités au temps d’i-tunes. Alors d’où naît cette inquiétude qui traverse tout le film et les personnages qui le peuplent ? Dans ce monde à l’opposé des dystopies futuristes communes, le sentiment d’insécurité naît de la fragilité des liens amoureux. Les couples se forment et se séparent sans réelle explication, ils survivent sous perfusion à travers les lettres manuscrites rédigées par Théodore. Toute la subtilité du scénario de Spike Jonze réside dans ce dosage précis entre la solitude des êtres mise à jour par les technologies, et un univers qui n’exclut pas totalement les relations humaines. Ainsi, si la lente progression du divorce de Théodore passe par la lecture des messages de l’avocat par l’OS (operating system), celui se décide finalement lors d’un déjeuner et se concrétise par une signature. Il y a là une réelle prise de risque de la part du réalisateur, puisqu’on pourrait ne pas adhérer du tout à cette histoire d’amour entre un homme et son système d’exploitation dès lors que la rencontre est présentée comme encore possible (les messages d’invitation laissés à Théodore ou la rencontre des voisins dans l’ascenseur). Mais, deux éléments permettent de surmonter ce danger : la voix chaude et grave de Scarlett Johannsson et surtout l’absence de personnage antagoniste. Puisqu’aucun personnage ne réprouve véritablement la relation de Théodore et Samantha[2] pourquoi le spectateur le ferait-il ? Ce refus du point de vue critique sur la relation, qui constitue lui aussi une certaine prise de risque dans la construction du récit, permet à Spike Jonze de gagner l’adhésion du spectateur à l’histoire d’amour comme à ce récit de science-fiction si particulier.

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Qui est Théodore ? C’est un homme de son temps, brisé par une séparation douloureuse qui s’est mis à l’abri du monde. Les outils lui permettent, comme à tous les autres, de trouver refuge[3] au milieu de tous en écoutant ses messages ou les informations dans les transports en commun. Mais c’est un de ses outils, le système d’exploitation « Samantha » qui va le ramener au monde. Toute l’histoire de Théodore et Samantha est ainsi basée sur un motif de construction/reconstruction. Samantha, intelligence artificielle capable de sentiments, ne cesse d’évoluer en même temps qu’elle sort peu à peu Théodore de sa torpeur. En cherchant à s’incarner, à avoir une connaissance directe du monde, elle le pousse à réintégrer son corps aux décors, au sommet d’une montagne enneigée ou allongé sur le sable. La très belle séquence de la fête foraine illustre parfaitement cette renaissance assistée par ordinateur. Renversant le principe du jeu vidéo dans lequel les personnages s’actionnent par la mise en mouvement du corps du joueur, Théodore répond aux commandes de Samantha yeux fermés, concentré sur ses gestes et la sensation de l’espace environnant. Réduite à un minuscule calepin numérique et une oreillette, c’est elle qui le guide jusqu’à diriger son regard vers un danseur, l’amener à gratter une guitare ou à danser lui-même. Alors, Théodore, auparavant cadré serré ou même décadré[4], gagne en présence dans des plans plus ouverts et mobiles jusqu’à la course hors du bureau lorsque Samantha ne répond plus. C’est ce processus de reconstruction qui émeut le plus car il donne lieu à des scènes au romantisme assumé (la scène de The Moon song) dans lesquelles le visage barré d’une moustache de Théodore s’illumine totalement.

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Cependant, si le corps retrouve une place dans le monde extérieur, l’esprit s’enferme dans une idéale bulle sonore de mots et de musiques. Le son est empli d’une présence envoûtante qui est simultanément niée par l’image de cet homme qui traverse seul la foule ou se pose sur un banc. Tous ces plans de Théodore regardant le paysage, avec Samantha dans sa poche, sont l’expression d’une vision idéalisée du sentiment amoureux (regarder dans la même direction). Ils mettent à jour toute la difficulté d’un être à se confronter (par le regard avec Catherine ou la fille du rendez-vous) à des êtres réels complexes et donc aux émotions. Par ailleurs, dans les sorties de Théodore et Samantha, l’interaction avec les autres reste limitée puisque toute incursion d’un corps étranger dans leur relation en révèle le caractère illusoire (la conversation avec la petite fille ou le pique-nique à quatre). Le refus de la matérialité affiché par Théodore peut être ainsi perçu comme l’attitude de défense d’un homme blessé qui peine à grandir[5] : Samantha ne doit pas donner l’impression de respirer, elle n’est jamais imaginée par lui, et il refuse le corps intermédiaire qu’elle convie à leur étreinte. Cette intelligence artificielle, née de réponses à des questions portant sur l’identité de Théodore, mais aussi sur sa relation avec sa mère, est donc un produit informatique parfait, à la fois gouvernante, secrétaire, amie et amante. Mais sa perfection inclut une évolution sans limite qui condamne l’accord à n’être qu’éphémère. Samantha, un moment obsédée par le fait d’ancrer des sensations dans une enveloppe charnelle, finit par évoluer au-delà de la contingence matérielle dans des relations virtuelles multiples auxquelles Théodore ne peut participer (et qui lui sont intolérables), prisonnier d’un corps avec lequel il doit apprendre à vivre, qu’il doit accepter d’éprouver dans le contact à l’autre réel.

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Récit d’apprentissage traversé de souffrances et de déchirements discrets, Her bouleverse par sa cohérence. Derrière quelques scories branchées[6], l’univers esthétique baigné d’une lumière douce, déclinante et de couleurs d’enfance s’accorde parfaitement au propos. De même, l’interprétation éblouissante et subtile de Joaquin Phoenix trouve toute sa place dans les plans précisément composés de Spike Jonze, tandis que la voix chaude et profonde de Scarlett Johannson remplit tout l’espace sonore. Il suffit d’entendre le rire de Scarlett et de voir Joaquin Phoenix sourire pour tomber sous le charme de ce film de science-fiction désarmant par son audace et sa sensibilité.

 

 

 

[1] Le choix des décors naturels participaient déjà de l’originalité du récit merveilleux de Max et les Maximonstres.

[2] Cette relation Humain-OS n’est pas unique dans le film. Théodore n’est qu’un cas parmi d’autres, si nombreux que cela devient un phénomène de société.

[3] L’autre refuge possible semble être le sommeil filmé par Amy, la voisine, comme seul moment de liberté.

[4] Théodore apparaît ainsi au bas du cadre dans le premier plan sur le pont piétonnier avec la ville en arrière-plan.

[5] Grandir s’apparente ici à reconnaître que l’amour parfait n’existe pas.

[6] Quelques filtres qu'on a parfois du mal à ne pas rapprocher d'une application un peu trop en vogue et des costumes magnifiques... qui sont malheureusement aujourd’hui déclinés en ligne de vêtements pour hispters.

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