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Carnet de critiques et billets divers d'une cinéphile active mais peu réactive... Ecriture intermittente garantie.

MARS, LE CINEMA ET MOI

J'ai créé ce blog il y a un peu plus de quatre mois maintenant. J'affirmais au moment de sa création l'intermittence comme un principe, elle est en réalité une obligation. Le bonheur d'écrire est immense, l'impossibilité d'écrire davantage et plus vite l'est tout autant. C'est de ce mélange de plaisir et de frustration qu'est née l'idée de cette nouvelle rubrique largement inspirée du bloc-notes de la revue Positif. 

 

1er mars

Vacances scolaires. Je perds le contrôle de mon planning ciné pour deux semaines. J’embarque assez facilement dans La Grande aventure Lego, réalisé par Phil Lord, après avoir lu quelques réactions très positives. Une belle idée, un scénario malin, mais l’hyperactivité des bonhommes jaunes me fatigue très vite. A côté de moi, on s’excite, on ne tient plus sur son siège. Il faudra plusieurs heures pour le calmer.

02 mars

Pas de mot pour le dire au moment où je l’apprends et, plus d’un mois après, rien n’a changé. J’ai passé la journée à y penser, à replonger dans mes souvenirs : la découverte avec Hiroshima mon amour, la séance mémorable de Nuit et Brouillard au lycée, les années 90 et les séances « pour voir Dussollier et Arditi » qu’elle aimait tant, puis, plus tard, la conférence de Luc Lagier, la séance de Providence avec des centaines de lycéens, la ferveur de la jeunesse pour ce réalisateur qui n’aura jamais été vieux. Puis, j’ai relu le début de l’ouvrage de Gaston Bounoure, paru en 1964 :

« Boulevard Malesherbes. Ce matin de novembre était brumeux. Dans un lugubre bureau, ici épars, rangés là, des dossiers de publicité : L’année dernière à Marienbad, Venezia 1961. Ailleurs, entrouvert, un album de photographies. Un téléphone muet. Un coupe-papier effilé, en forme de poignard sournois. Je pense : aboli bibelot d’inanité sonore… Mais, assis derrière un étrange meuble en arc de cercle, les bras posés sur du buvard, il sourit. Me dérobe ma pensée un instant distraite. Se dérobe. Et dit, avec toute une gentillesse native :

-Je ne vois pas, non vraiment, je ne vois pas comment tu peux envisager d’écrire quoi que ce soit sur moi. C’est insensé, non ? Et puis quoi dire ?... Vraiment, je ne vois pas quoi…

C’est vrai. Il ne voit pas. Sa pudeur multiplie une modestie presque maladive. Frileusement, il s’emmitoufle d’effacement, de silence. Il tisse avec obstination une toile d’absence. Il complote des rapts subreptices. Il rêve de ratures rédemptrices. Cinéaste de la mémoire, Alain Resnais se voue lui-même aux profondeurs de l’oubli. »

Ce jour-là, il m’aurait fallu une gifle d’Eiji Okada pour remonter à la surface du temps.

Alain Resnais par Agnès Varda.

Alain Resnais par Agnès Varda.

05 mars

La tyrannie de l’enfance sévit une seconde fois. Dans l’ombre de Mary (John Lee Hancock), il y a de l’ennui, de la lourdeur et la raideur maintenant bien trop familière d’Emma Thompson. Les nombreux flash-back m’épuisent et Colin Farrell m’achève. Je tente de cacher mon agacement à la sortie, mais cela ne sert à rien car leur verdict est sans appel : « C’est nul ! ».

07 mars

Aujourd’hui, JE choisis. Je choisis les Arpel, Plastac et Sainte Maure. Je choisis le chant du canari, le bonbon collé dans la poche et les mains sales du marchand de beignets. A côté de moi, le regard encore pas totalement domestiqué de l’enfant distingue des choses que l’adulte ne voit plus.

10 mars

Paris. Bill Viola au Grand Palais. Une œuvre monumentale, hypnotique, sublime. Au bord des larmes devant Tristan’s ascension. Fascinée par Four Hands.

L'émotion du décès d'Alain Resnais arrive dans un café parisien sans prévenir. Elle a le visage d'un des réalisateurs les plus talentueux, drôles et tendres du cinéma français. Il me bouleverse. Je pense à lui et au maître qu'il a accompagné durant ses derniers films. Les lacrimex ne sont pas assez grands ce soir, mais demain, j'en suis sûre, la glaviole trimballera à nouveau sa poésie...

11 mars

- J’y vais, c’est décidé. Je vais voir La Belle et La Bête de Christophe Gans. Il le faut.

- Non, tu ne vas pas faire ça !

- Si, je t’assure…

(Deux heures plus tard)

- J’y suis allée. J’ai souffert…

- Tant que ça ?

- Oui, il y a une scène en flash-back où le prince, pas encore transformé en bête, revient de la chasse avec ses compagnons. Il balance un sanglier au sol tel Obélix. Et là, il rejoint son épouse dans la chambre, visiblement excité et triomphant. Elle le regarde et lui dit : « Tu sens le fauve ! »… Une heure pour m’en remettre.

- Ah oui, tout de même… Mais encore ?

- Je ne veux plus en parler, c’est décidé. Je vais revoir La Belle et Bête de Jean Cocteau. Pour oublier. Il le faut.

16 mars

Le Vent se lève. Dans la brise romantique de la rencontre amoureuse, dans le souffle ravageur d’un tremblement de terre comme dans le grondement (peut-être un peu trop lointain) de la guerre, le maître exprime une noirceur inhabituelle et bouleversante. Cette œuvre ultime restera pour moi la plus belle, la plus maîtrisée et la plus sombre. Jiro me fait trembler plus qu’aucun autre personnage de Hayao Miyazaki. J’aime infiniment les personnages mus par une obsession, une idée fixe, qui détermine tout jusqu’à la relation amoureuse ou les rêves qui tournent souvent au cauchemar. Des images me poursuivent encore aujourd’hui, celle d’une ville soulevée, celle d’un homme dessinant d’une main et tenant sa femme de l’autre et celle d’une cigarette qui se consume à côté de celle qui s’éteint inexorablement.

MARS, LE CINEMA ET MOI

21 mars

Aujourd’hui, je revois Chaînes conjugales en DVD. Toute la puissance d’un hors-champ qui remplit tout, simplement suggéré par une voix et trois regards tendus vers une cabine téléphonique. Mankiewicz est LE cinéaste de l’absence.

23 mars

Dallas Buyers Club. Parmi mes commandements de cinéphile figure en bonne place : « De la bande-annonce tu te méfieras ». J’avais vu celle du film de Jean-Marc Vallée, je m’en étais méfiée et j’avais raison. Le film est malheureusement exactement ce qu’en annoncent les extraits ; des performances dévorantes, un récit fidèle au fait réel et une reconstitution appliquée des années 80. Le début est efficace et bénéficie de la puissance de son acteur principal (Matthew McConaughey). Cependant, la tension recherchée à travers le compte à rebours des intertitres s’essouffle rapidement. Le film se perd alors dans une dérive "brokovichienne" tout à fait regrettable. Ennui et indifférence.

31 mars

Leçons d’Harmonie, réalisé par Emir Baigazin. Rigueur formelle. Visages incroyables devant les murs blancs immaculés d’une école de la violence et de la sélection. Animaux petits et grands, objets d’expérimentations cruelles, de sacrifices, de mises à mort nécessaires ou de visions. Absence terrible des figures parentales et omniprésence des "grands frères" menaçants. Il y a beaucoup à prendre dans ce film, jusqu’au crime et à l’arrestation. Mais, lorsque les figures d’adultes s’imposent davantage, le propos bascule dans une démonstration qu’il a frôlée déjà plusieurs fois (l’enchaînement d’une leçon sur Gandhi et d’un cours sur les armes). Les motifs du film deviennent surlignés, expliqués avec une certaine pesanteur : le policier a été enseignant, le verre dont l’eau enfin purifié par la vengeance peut à nouveau être bu sans craindre la nausée, et la blancheur d’une chambre d’hôpital agit comme un dérangeant retour à l’équilibre après la geôle crasseuse. Le magnifique plan final confirme l’impression d’avoir vu le premier film d’un jeune cinéaste prometteur, mais un peu trop appliqué.

Sacro gra, réalisé par Gianfranco Rosi. Filmer la marge du mythique cinéma italien de fiction, tout entier incarné dans Rome, ses monuments, ses rues, ses places et ses ruines. Filmer cet anneau qui sépare et qui rejette à la périphérie des prostituées, un chercheur qui fait parler le chuintement des larves dans les palmiers, un couple d’aristocrates désargentés et kitchs, des pêcheurs, un ambulancier… Tourner autour de cet anneau et revenir plusieurs fois à ces personnages sans parvenir à s’en approcher davantage. S’approcher d’eux depuis le fauteuil de la salle, en se relevant. Tenter de s’approcher de ce père, vieux fou ou sage, et de sa fille, en vain. La caméra reste accrochée dans le vide, filmant dans une contre-plongée quelque peu vertigineuse et étrange la fenêtre de leur petit appartement. Les personnages s’effacent vite ; les lieux désolés et la route restent en mémoire.

MARS, LE CINEMA ET MOIMARS, LE CINEMA ET MOI
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O
Nous sommes tout à fait d'accord sur Le Vent se lève : le film est l'un de splus pessimistes de Miyazaki. Je pense personnellement que ce pessimisme, ce sentiment de menace qui recouvre chaque image du film - l'histoire d'amour est d'ailleurs clairement une parenthèse enchantée qui occulte le contexte pendant toute une partie - est lié à la catastrophe de Fukushima. Cependant, Miyazaki a toujours été quelqu'un de pessimiste autant que très humain. <br /> et pour information, ma critique de l'époque :) : http://mirabelle-cerisier.hautetfort.com/archive/2014/03/31/le-vent-se-leve-5336823.html
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